En 1893, une poignée de jeunes sportifs dont les frères Joseph et Auguste ROSSET, Henri GLENAT et M.TARTAVEL créent l’Aviron Grenoblois. Son siège se trouve alors au Café Français, 15 rue du Lycée (aujourd’hui Rue Raoul Blanchard). L’Aviron Grenoblois semble succéder à une autre société, l’Union Nautique de Grenoble, qui aurait périclité après une existence éphémère.

Cette création prend place dans un contexte de diffusion de l’aviron en France depuis la Grande Bretagne, où il s’est développé sous sa forme moderne depuis le 18ème siècle.

C’est en 1838 qu’un groupe d’amateurs passionnés crée la Société des Régates du Havre : elle est la doyenne des sociétés françaises de sport nautique.

L’Aviron Grenoblois naît dans une région où déjà des sociétés d’aviron existent depuis quelques années : Union nautique de Lyon (1880), Club Nautique d’Aix-Les-Bains (1882), Cercle de l’Aviron de Lyon, fondé en 1890 par des membres dissidents des Régates Lyonnaises

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Peu après, en 1898, viendra au monde le Club Nautique de Chambéry le Bourget-du-Lac.

Puis, dans les premières années du vingtième siècle, se créera une société à Romans, aidé dans ses débuts par l’Aviron Grenoblois, ce qui explique peut-être les relations amicales qui ont toujours existé entre l’Aviron Romanais Péageois et la société de Grenoble.

Ainsi, en 1908, L’équipe GUIGUET demande au conseil d’administration de l’Aviron Grenoblois l’autorisation de se rendre à Romans en yole de mer. Cette sortie offrant des dangers sérieux, il est décidé qu’une commission se rende à IZERON pour se rendre compte des passages dangereux. On ne sait pas si cette aventureuse randonnée a finalement eu lieu…

Le premier garage de la société nautique de l’Aviron Grenoblois est déjà situé à l’Île Verte, au bord du chemin de halage, probablement à l’endroit où se situe le club actuel. Il est propriété de la famille BIRON qui le loue à la société. Cette location entraînera de fréquents litiges entre la société et ses propriétaires, qui feront couler beaucoup d’encre (et de salives) lors des réunions de la société.

Les installations du garage sont, dans les débuts, rudimentaires : ainsi, en 1907, l’idée d’installer une douche au garage est abandonnée : les canalisations sont à poser sur une longueur trop importante et le projet est donc jugé trop coûteux.

Photos historique AG 27 9 13_3- R‚gates d‚but 20e s

En 1898, le garage n’abrite que quelques bateaux en état de fonctionnement, une bonne partie étant la propriété privée de sociétaires. Un inventaire en date du 9 septembre de cette année permet de se faire une idée du patrimoine de la société et de ses membres :

 

– « Plan-Plan » Outrigger de pointe 4 rameurs assez bon état avec ses 4 avirons. Propriétaire : 3 sociétaires. Il sera donné à la société en 1899

– « Bleu-Bleu » Outrigger à 4 rameurs très mauvais état, sans avirons, sans sellettes, sans arrière. Propriétaire : la société

– « Sentinelle » yole de mer à 4 rameurs avec ses 4 avirons. Assez bon état. Propriétaire : la société

– « Sultane » Yole fine à 4 rameurs et ses 4 avirons en assez bon état. Propriétaire : la société

– « Tant-pis » Yole à 2 rameurs sans aviron – hors service . Propriétaires : 2 sociétaires

– « Coco » Skiff en bon état avec ses 2 avirons. Propriétaire : 1 sociétaire

– « Crocodile » « As » (skiff) en assez bon état, sans avirons, avec pontage démontable. Propriétaire : la société

– « Gaby », « Eclair », « Hirondelle » : périssoires en assez bon état. Propriétaire : la société

– « Qui-vive » : périssoire en bon état, sans pagaies. Propriétaire : 1 sociétaire

– « La Flèche », « Tant-pis », « Passe-partout » : périssoires en mauvais état. Propriétaire : la société

– « Etincelle » : périssoire en mauvais état. Propriétaire : 1 sociétaire

– « Hirondelle » : Yole à 2 rameurs en couple avec dossier canné et ses 4 avirons. Propriétaire : 1 sociétaire. Sera donné à la société en 1899

 

Au cours de ses premières années, la société changera bien des fois de siège, migrant de café en café, pour des raisons qui restent souvent mystérieuses, mais parfois conflictuelles (les consommations n’étaient pas toujours payées….). Ainsi, en 1899, l’assemblée décide de transférer le siège de la société chez M. CROIBIER, cafetier Place Grenette.

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L’Aviron Grenoblois, malgré la passion de ses créateurs, a d’ailleurs bien failli disparaître en bas âge et ne pas connaître le 20ème siècle. En effet, en 1899, sous l’impulsion de M. De LAMORTES FELINES, bienfaiteur de la société et président du Stade Grenoblois (société d’athlétisme), les deux sociétés sont sur le point de fusionner. Ce projet sera finalement abandonné, les conditions proposées par le Stade Grenoblois n’étant pas finalement pas jugées acceptables par les instances dirigeantes de l’Aviron. On respire à postériori.

Pour assurer sa survie en s’intégrant dans le tissu grenoblois, la jeune société cherche sans relâche à attirer des notables locaux, des commerçants, des avocats… en leur offrant, avec force démonstration, le statut de membre honoraire ou de président d’honneur (dans le but avoué de s’attirer leurs largesses ou de bénéficier de leur influence). Ainsi, en 1900, M.RIVAIL, Adjoint au Maire de Grenoble et futur Maire de la ville (de 1904 à 1908), accepte la présidence d’honneur de la société.

Photos historique AG 27 9 13_5- R‚gates d‚but 20e ter

La société est exclusivement masculine, comme pour la plupart des sports à l’époque. La présence de dames comme passagères des embarcations n’en fait pas moins l’objet de débats passionnés, sans doute pour des questions de bonnes mœurs. Ainsi, lors de la réunion du conseil du 2 août 1901, est-il fait interdiction, sous peine d’amende de 1 franc de « sortir des dames en bateau », dans les bateaux de la société. Pour les bateaux de propriétaires privés, cela est cependant finalement admis, après de longues discussions. D’aviron féminin, à l’époque, il ne semble donc pas être question.

La société compte parmi ses membres des personnalités qui feront l’histoire de Grenoble. Ainsi, Auguste DIDIER (né en 1886), plusieurs fois secrétaire de la société et rameur émérite dans les années 1900-1910, sera le fondateur dans les années 1920 de la célèbre librairie grenobloise Didier et Richard, principale concurrente de la librairie Arthaud jusque dans les années 1980.

Cependant, la société nautique est bien modeste à ses débuts : en 1900, elle compte environ 16 membres actifs et 17 membres honoraires.

Dans les premiers temps, l’aviron se pratique sur l’Isère essentiellement en yoles (bateaux larges adaptés à la pratique en mer), qui, à l’époque, semblent pour les rameurs grenoblois les seules embarcations adaptées à cette tumultueuse et imprévisible rivière. L’utilisation d’ « outriggers » (littéralement en anglais, « les portants – riggers – en dehors ») bateaux étroits et légers, munis de portants, adaptés à la pratique en rivière ou lac ne commencera vraiment que dans l’entre-deux-guerres. L’outrigger est à l’époque vu à Grenoble avec un mélange de méfiance et de crainte, comme le montre le débat de la réunion générale du 3 mai 1901, où il est question de monter une équipe de course pour aller participer à des régates à Lyon. M ROSSET, Trésorier de la société, déclare ainsi que « Les courses se font généralement en outriggers […] Ces outriggers ont très peu de stabilité et une grande habitude est nécessaire pour les monter ».

Photos historique AG 27 9 13_6- Barque sauveteur

Dans cette même réunion, M. ROSSET nous montre également un bel exemple de la classique défiance du Grenoblois face au Lyonnais à qui l’on ne peut vraiment pas faire confiance, lorsqu’il s’inquiète du fait que l’on devra emprunter des bateaux : « Les bateaux que les sociétés lyonnaises prêtent ont beaucoup de défauts et sont inférieurs aux autres [….] Si nos équipiers se classaient par hasard dans la première course et rapportent quelques prix, il est à peu près sûr que la société lyonnaise pour écarter des concurrents trouverait une raison quelconque pour ne pas prêter le bateau. ».

En 1908, l’outrigger n’est toujours pas en cour dans la capitale des Alpes : des rameurs de Bordeaux, les frères TROLLIET, font savoir par courrier qu’ils désirent vendre leur outrigger pour 600 Francs. Après débat en conseil, réponse leur est faite que l’Isère ne se prête pas à ce genre de canotage. Ils sont par contre informés que la société est intéressée par une yole de mer à 4 rameurs, s’ils en connaissent une à vendre.

Les entraînements ont lieu essentiellement le dimanche et le samedi, les entraînements durant la semaine étant réservés aux équipes de compétition dûment constituées après accord des instances dirigeantes de la société. Le but est toujours de préserver le précieux matériel, d’éviter les accidents, mais aussi que des personnes étrangères à la société ou d’anciens sociétaires qui ne sont pas à jour de cotisation ne montent dans les bateaux. En effet, ce type d’incident revient de temps en temps, avec parfois excès de boissons et propos inconvenants.

Outre la préservation du matériel et la tenue en public des sociétaires, la sécurité revêt très tôt un aspect important de la pratique de l’aviron, d’autant plus que l’Isère est tout de suite considérée par les sociétaires comme un bassin impétueux. Lors de la réunion générale du 20 mars 1901, il est décidé que tout nouveau sociétaire devra déclarer par écrit qu’il sait nager et que s’il ne sait pas nager, il devra avoir une permission signée de ses parents. Les sorties de nuit sont par ailleurs déjà interdites. Un concours de natation entre les sociétaires sera organisé épisodiquement.

Ces précautions n’empêchent malheureusement pas qu’au cours des régates du 14 juillet 1910, un sociétaire, Albert DIDIER, meurt par noyade, suite au chavirage de son embarcation. Dans ce bateau se trouvait un autre DIDIER (Auguste, cité plus haut), homonyme du précédent. La fille d’Auguste DIDIER, Mme Marie-Hélène DOLLON, se souvient que son père lui avait expliqué que, pendant un temps, sa famille avait craint que ce ne fût lui qui se soit noyé. Il apparaît qu’Albert DIDIER, qui savait nager, avait tenté de rejoindre la berge et s’était malheureusement noyé, tandis qu’Auguste, qui, lui, ne savait pas nager, était resté accroché à son bateau en attendant les secours, ce qui lui a sûrement valu la vie sauve.

Dès ses premières années, l’Aviron Grenoblois organise un match annuel interne à la société et des régates sur l’Isère, notamment à l’occasion de la Fête Nationale du 14 juillet. Ces régates, ou « fêtes nautiques », se déroulent d’abord, elles aussi, entre équipages de la société, puis, progressivement, y sont invitées des sociétés d’aviron voisines (Romans, Aix-Les Bains, Chambéry…). Ces régates attirent un public nombreux, et font partie intégrante de l’animation de la ville. La société ne manque pas de demander une subvention à la ville de Grenoble pour l’organisation de ces fêtes nautiques ou lorsque, par exemple, un bateau y a été endommagé. Ces régates sont souvent accompagnées par une société de fanfare locale. La sécurité y est assurée par la « Société des Sauveteurs » avec laquelle l’Aviron entretient de bons rapports. Le parcours de ces régates fluctue selon les éditions, mais il est principalement centré dans la partie du bassin située entre le pont de la Citadelle et le pont de l’Esplanade (pont de la Porte de France aujourd’hui) et ce, afin d’être plus en vue du public, au cœur de la cité. Il semble donc que cette partie de la rivière était à l’époque plus « ramable » qu’actuellement. A partir du tout début du 20ème siècle, l’Aviron Grenoblois commence également à participer à des régates organisées par les sociétés de la région et à acheter des yoles d’occasion ou neuves, telles que « Cularo », « Frou-Frou », « Iserette », au fur et à mesure que le nombre de ses sociétaires augmente et donc, les ressources financières. Pour ses achats neufs, la société s’adresse aux établissements RIVET, fabricants de bateaux et d’avirons à Lyon, qui semble jouir d’un monopole régional en ce début de 20ème siècle.

Lors des régates à l’extérieur, le transport des bateaux se fait par train et donc, les bateaux étaient probablement portés par les rameurs jusqu’à la gare de Grenoble.

L’année 1908 voit les premiers succès de l’Aviron Grenoblois dans des régates régionales. Lors des régates d’Aix les Bains du 15 août, l’équipe GUIGUET, BOZONNAT, DIDIER Auguste, DAY ; barreur : ALBERTY remporte le 1er prix en 4 débutants (sur 8 partants). Le prix de cette régate est une statue en bronze représentant un rameur. Les régates du 23 août à Romans voient l’équipe à 4 (DIDIER Auguste, MASSET, JARRIN, AMOT, barreur : ALBERTY) gagner 2 premiers prix et M. PASCAL, en canoë, enlever un premier prix.

La discipline se veut stricte au sein de la jeune société, du fait de ses faibles moyens financiers et du coût déjà important de l’acquisition ou de la réparation du matériel. Les amendes pleuvent, pour non-respect du règlement intérieur, absence aux réunions, mauvaise tenue des rameurs, propos inconvenants, ou pour bris de matériel. Ainsi, le Conseil du 16 mars 1908 décide que « L’équipe DAVID n’ayant pas remis les avirons à la place qui leur est assignée, une amende de 0,50 F leur est infligée …Cette même équipe étant partie en laissant le garage ouvert, une autre amende de 0,50 F lui est infligée ».

Pour assurer des rentrées financières, la société organise presque chaque année un bal, en général dans un restaurant ou un hôtel de la ville. Un banquet réunissant membres actifs et membres honoraires est aussi régulièrement organisé. Les recettes ne sont cependant pas toujours à la hauteur des espérances.

Un « capitaine d’entraînement » et un « conservateur du matériel » sont régulièrement élus par les instances dirigeantes de la société, mais les démissions à ces postes sont fréquentes, parfois suite à des conflits bien sentis avec des rameurs rétifs à la discipline. Pour parfaire la technique des sociétaires, le conseil du 5 octobre 1900 vote l’achat du manuel de la « Théorie du coup d’aviron anglais » pour le prix de 5 francs. Peut-être se trouve-t-il encore dans nos archives ?

Outre la valse des capitaines d’entraînements et des conservateurs du matériel, les démissions sont fréquentes dans le bureau de la société : présidents, secrétaires, trésoriers défilent dans les premières années du 20ème siècle, malgré de grands éloges en réunion pour essayer de les retenir. Heureusement, il se trouve toujours des volontaires pour remplacer les démissionnaires.

Dès ses débuts, l’Aviron Grenoblois gère sérieusement ses deniers. En 1909, la société touche une prime de 400 francs pour une mystérieuse « découverte de M. HELMSTATT » qui porte l’encaisse de la société a environ 1200 francs. Suite à cette rentrée d’argent visiblement inattendue, la société ouvre un compte à la Société Générale et l’achat de 500 francs de valeur est décidé : c’est le début de l’histoire patrimoniale de la société, qui lui permettra par la suite de devenir propriétaire de son garage.

Le dimanche 27 août 1911, la société organise ses premières régates sur le lac de Charavines, avec le soutien d’une subvention de 100 francs du syndicat d’Initiative.

Mais l’année 1914 se profile à l’horizon, et, avec elle, le premier conflit mondial. La plupart des rameurs, qui sont en âge de porter les armes, sont mobilisés. Les sociétaires non mobilisés continuent quelques sorties jusqu’à la fin septembre 1914, puis la société entre en sommeil jusqu’en 1919.

Photos historique AG 27 9 13_7- Groupe FELTRIN

Remerciements

Je tiens à sincèrement remercier toutes les personnes qui, membres passés ou présents de l’Aviron Grenoblois, ou extérieures à la société, m’ont aidé par leur temps, leurs souvenirs ou leurs documents à écrire ce petit ouvrage sur notre cher vieux club.

Le 27 septembre 2013

Le Secrétaire de l’Aviron Grenoblois

Guillaume VEYRET-ABRAN

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